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Paroles de prof

5 mars 2008

Tension quotidienne

Un cours ordinaire, en apparence. Tout pourrait très bien se passer... D'ailleurs, le prof prie pour que ce soit le cas.

Oui, mais voilà.

Un papier vole, qui vient interrompre son pimpant discours sur la vie difficile des comédiens au XVIIème siècle, pour atterrir gaiement sur le bureau, là, juste sous ses yeux. Impossible de l'ignorer.

Pendant que tous les regards sont braqués sur lui, celui du prof, spontanément, se porte sur X. Par habitude. Et avant même que le prof n'imagine ce qu'il va pouvoir dire, comment il va devoir réagir, X. le devance.

- Pourquoi qu'vous m'regardez ?

Et là, le prof sait qu'une bataille s'engage. Son but : la gagner. L'enjeu : affirmer son autorité.

Pendant ce temps, X. s'agite, le fixe. Il faut réagir vite. Au centre de l'attention, X. jubile : pour lui aussi, l'enjeu est de taille, c'est sa place de meneur qu'il joue. Et comme il n'a pas l'intention de se laisser marcher sur les pieds, il reprend en haussant le ton :

- Zyva, c'est toujours moi d'façon ! Marre de la prof, elle est pas nette ! Comme d'hab', c'est toujours moi ! J'ai rien fait, moi !

Il ferme son cahier, claque sa trousse, se lève.

Le regard noir, le prof s'avance et s'efforce de parler d'un ton neutre. Avec un sang-froid apparent qu'il est loin d'éprouver, il recommande à X. de s'asseoir, de se calmer. L'autre le fait en grondant : y'en a raz le bol de c'collège, de c'te prof ! P'tain, c'est pas lui, bon sang !

Le prof attend en silence.

X. se calme, peu à peu.

Résultat des courses : un semblant de victoire pour le prof malmené, dix minutes de cours gaspillées, une ambiance plus que tendue. Et pourtant, il faut continuer, reprendre, faire comme si rien ne s'était passé.

Sur le point de retourner au tableau, le prof croise le regard désespéré de la voisine de X. A la fin de l'heure, elle lui apprendra que le propriétaire et lanceur de la fameuse boulette, c'était bien lui.

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4 mars 2008

Tout un éventail...

Il y a celui qu'on aimerait pouvoir aider mais qui demeure impénétrable, inaccessible.

Il y a celui qui pleure et qu'on ne sait pas comment aider.

Il y a celui qui vous a pris pour cible, sans raison apparente : son ennemi attitré pour l'année à venir, que vous le vouliez ou non, que vous le compreniez ou non, ce sera vous, et rien que vous, toujours vous. Celui qui vous toise avec insolence et qui vous lance, comme ça, avec un aplomb estomaquant, que si vous n'êtes pas content, vous n'avez qu'à changer de métier. Rien que ça...

Il y a celui qui vient en cours pour se faire voir : son unique but, pendant une heure, est d'attirer tous les regards, et peu importe les moyens.

Celui qui refuse de sortir ses affaires, qui refuse de travailler et qui, spontanément, vous demande si vous pouvez l'exclure du cours parce que, de toute façon, il ne fera rien aujourd'hui... comme les autres jours.

Il y a celui qui acquiesce à vos paroles en souriant et qui, une fois hors de vue dans le couloir, vous lance une insulte bien trempée. Une fois à nouveau sous le feu de votre regard, il jurera ses grands dieux que vous avez rêvé : "Vous entendez des voix, M'dame !". Celui qui excelle dans le domaine de la mauvaise foi, toujours prêt à vous jurer qu'il n'a rien fait quand bien même vous venez de le surprendre en train de jeter des boulettes de papier en direction de votre bureau.

Il y a celui qui pousse un hurlement soudain, tel un animal échappé du zoo, sans doute dans le but louable d'animer le cours lors d'un de ces rares moments de silence que vous auriez aimé savourer.

Heureusement, il y a aussi celle qui vous sourit avec sympathie. Celui qui vient vous questionner à la fin du cours sur un point du cours qui lui a plu. Celle qui vous souhaite une bonne journée avant de partir, celui qui essuie le tableau... Tous ceux qui vous prouvent, à travers mille petits gestes du quotidien, que vous ne vous êtes pas trompé de métier.

Tout cela quand soi-même on voudrait simplement que tout se passe bien. Quand on se bat pour eux, pour nous, pour donner du sens à ce qu'on leur enseigne.

Quand parfois on perd la foi et qu'on se surprend à espérer que Brandon sera absent aujourd'hui.

Quand on espère toujours leur faire comprendre que non, on n'a pas choisi le métier de prof par pur sadisme, dans l'unique but de les faire souffrir et travailler. Quand on aimerait qu'ils comprennent que si on est là, c'est avant tout pour eux, pour les aider à avancer et à tracer leur sillon.

Quand on voudrait leur donner le plaisir d'apprendre.

27 janvier 2008

Combien t'as de points, toi ?

Je vais vous parler d'une particularité méconnue de l'éducation nationale. Encore une.

Le système de points.

Dit comme ça, ça fait tout de suite penser au fameux permis à points. En fait, on n'en est pas si loin. Du permis du jeune conducteur en tout cas, vous savez, celui qui ne sera complet qu'après quelques années de bonne conduite (dans tous les sens du terme !) ? Eh bien là, c'est pareil : le jeune prof commence sa carrière avec un certain nombre de points, et il va falloir attendre plusieurs années pour en accumuler de nouveaux. De longues années. Attention ! Je parle ici du jeune prof ordinaire, celui qui, motivé, a fait l'erreur de faire passer son parcours professionnel avant sa vie privée. Sachez-le : c'est un très mauvais calcul, dans l'éducation nationale, que de privilégier ses études. Mais passons à la petite démonstration.

En règle générale, voici comment se passe l'évolution d'un jeune adulte : études, emploi, mariage, bébé.

Mauvais choix ! Le jeune prof, lui, ne DOIT pas suivre ce schéma ordinaire. Le parcours du jeune prof malin est inversé : mariage, bébé, emploi.

Le jeune prof qui n'aura pas été prévoyant et qui aura suivi le parcours traditionnel commencera sa carrière avec 21 points en poche. Le jeune prof qui se sera montré prévoyant, lui, commencera avec 221 points. Minimum.

Car tout rapporte, dans l'éducation nationale. Un mariage, 150 points. Un bébé, 50 points.

Mais tout a un prix, aussi. N'allez pas croire que le prof soit maître de sa vie : si le prof se voit octroyer un certain nombre de privilèges discutables, il doit en retour renoncer à avoir le choix. Le choix de son lieu de vie. Eh oui ! Hors de question pour le prof de fixer sa résidence principale à Trucville si son employeur a décidé de l'envoyer à Machinville. Contraint et forcé, le prof doit se résoudre à quitter sa région natale pour transporter son balluchon à l'autre bout du monde, euh, de la France. A moins que, prévoyant et brillant mathématicien, le prof ait pensé à emmagasiner le nombre de points nécessaires à son ancrage dans la région de son choix. Le hic étant que le jeune prof, lors de son entrée dans la l'éducation nationale, en ignore les rouages. Le hic étant encore que, chaque année, on refait les jeux : s'il fallait 31 points pour accéder à la région tant désirée, rien ne garantit qu'il n'en faudra pas désormais 91 !

Bref : un vrai casse-tête sur lequel nombre de jeunes profs se cassent les dents.

Alors un conseil, si vous envisagez d'entrer au service de l'éducation nationale : munissez-vous d'une calculatrice et d'une bonne dose de patience !

26 janvier 2008

Le régime prof

Travailler dans l'éducation nationale a un avantage tout à fait insoupçonné.

Garder la ligne.

Si si.

Figurez-vous que j'ai perdu près de trois kilos depuis septembre.

C'est ce que j'appelle le "régime prof". Pas besoin de se priver, pas besoin de baver devant une plaque de chocolat en se répétant que c'est mauvais pour la ligne. Non : on peut tout engloutir, tout avaler, de toute façon rien ne reste !


Quel est le principe de ce fabuleux régime, me demanderez-vous ?


Pour comprendre, il est nécessaire de se faire une idée du travail d'un prof. On pourrait croire qu'il n'y a rien de très physique là-dedans : détrompez-vous ! Il ne s'agit pas seulement de cours à préparer et de copies à corriger, loin de là... Donner un cours, c'est une vraie course d'endurance : en guise d'échauffement, gestes désarticulés pour attirer l'attention des élèves ; ensuite, sprints entre les rangs ; cris d'encouragement au silence ; puis courir d'une table à l'autre pour répondre aux questions...

Et s'il n'y avait que ça ! Mais non. De une, c'est physiquement épuisant. Et de deux, on n'a pas le temps de grignoter ! Il y a bien la pause récré du matin, celle de l'après-midi aussi. Mais rien à faire ! Le prof a beau avoir en réserve dans son sac un paquet de biscuits ou, mieux, un alléchant kit-kat, pas possible de trouver une minute pour croquer dedans : il faut parler aux élèves entre les cours, passer rapido en salle des profs... Et le temps lui échappe.

Par contre, qu'est-ce que ça boit, un prof ! Ben oui. Forcément. A force de courir partout et de parler pendant des heures, un prof se dessèche vite. Du coup, tout y passe : des cafés détrempés de la machine à café au litre d'eau qui ne manque jamais de trôner sur son bureau, le prof a besoin de faire le plein en permanence. Ce qui amène parfois un élève à poser une question inattendue, saugrenue même : « Madame, vous avez un problème de salive ? Vous n'arrêtez pas de boire, c'est pas normal ! » Et hop ! Il n'en faut pas plus pour faire du prof un specimen à part.


N'empêche. Efficace, le régime prof. De l'exercice, pas de grignotage, une hydratation maximale... N'est-ce pas la plus efficace des hygiènes de vie ?

Alors je vous le dis : si vous cherchez à perdre du poids et que les régimes successifs ne donnent rien, changez de méthode. Devenez prof !

24 janvier 2008

Nostalgie

Si j'ai choisi de devenir professeur de français, à l'époque, c'était avant tout par goût de la littérature. J'ai toujours aimé, que dis-je ? adoré, lire. Ecrire. Et ces plaisirs personnels, j'avais envie de les partager.

J'aurais dû me douter que ça ne serait pas aussi simple ; ça ne l'est pas, en effet. Si tous mes élèves parlent le français, langue commune, il me semble pourtant que nous évoluons dans deux mondes différents. Le leur, fait d'insouciance et d'instants présents uniquement, et le mien, vestige d'un temps passé qui, de toute évidence, n'est pas en mesure d'intéresser des adolescents bourrés d'énergie ! Entre leur vocabulaire et le mien, rien à voir. Ce ne sont pas les mêmes mots et, si par miracle c'est le cas, voici qu'un mot n'a pas le même sens selon qu'il est prononcé ou par eux, ou par moi ! Entre nos façons de voir, idem. Pas facile de s'entendre : quand je leur dis : « Nous allons étudier un livre passionnant », ils comprennent « Encore un de ses vieux bouquins » ! Du coup, le partage, bye bye. J'en suis encore au stade parlementaire : « Mais si, vous allez voir, c'est bien ! Il y a de l'action, de l'amour... ». Et s'ils lisent à peine la moitié du livre, je prends déjà ça pour une victoire.

Voilà ce qui me rend nostalgique. La littérature, avec les élèves, c'est un mot qui n'a de sens que pour celui qui le prononce... c'est-à-dire moi. Eux, ils voudraient bien s'en passer : c'est que les mangas et les bd, ça leur suffit amplement ! La littérature, « c'est rien qu'du vieux ». Dur dur de les intéresser à des auteurs morts depuis plus de cent ans. Et pourtant, c'est ce qui a construit notre langue, non ? Ce qu'ils lisent aujourd'hui, sans ce qu'ils rejettent si arbitrairement, ne serait rien si tous ces « vieux » auteurs n'avaient pas ouvert la voie !

Mais allez leur dire que Molière a pu être le Woody Allen du XVIIème siècle, et vous verrez comment vous serez reçus...

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23 janvier 2008

Pour commencer...

Pourquoi ce blog ?, m'a-t-on demandé.

Eh bien ! Avant tout, pour moi. Parce que, si être prof peut parfois effectivement correspondre au "plus beau métier du monde", ça ne l'est certainement pas tous les jours. Il y a des jours avec, et puis des jours sans. Et les jours sans, pas facile de relativiser. Alors j'ai décidé d'écrire, de raconter. Mon quotidien, face aux élèves, aux exigences du métier... Pour extérioriser, en fin de compte. Mettre à plat ce que je vis et me permettre d'y voir plus clair quand ça va moins bien, prendre du recul. Mais aussi me "souvenir des belles choses", celles qui donnent envie de poursuivre les efforts entamés !

Et puis peut-être pour les autres, aussi. Parce qu'avant d'être prof, j'ai été jeune, j'ai été étudiante, et je n'avais aucune idée de ce que c'était, qu'être prof. Je me suis lancée dans la carrière comme on se jette à l'eau : sans trop savoir ce qui m'y attendait. Un prof, pour moi, c'était un peu un extraterrestre, une espèce à part. Et puis j'en suis devenu un ou, plutôt, je me suis rendu compte qu'un prof, en fin de compte, c'était un être ordinaire ! Alors qui sait ? Peut-être qu'en faisant part de quelques bribes de mon expérience, ça en intéressera certains. Ca répondra peut-être à des questions.

Voilà. Pour ces quelques raisons, pour partager un peu de mon quotidien et beaucoup de mon plaisir d'écrire, je me lance. Je me jette à l'eau, à nouveau. Sans savoir ce qui m'attend !

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